Ce matin, j’ai commencé à lire Récidive. 1938 de Michaël Floessel. Pour l’instant, j’aime beaucoup !
J’ai partagé sur Mastodon quelques extraits qui m’ont plus, et comme il y en avait un certain nombre, je me suis dit qu’il pourrait être intéressant de les compiler ici dans un article.
On parle aujourd’hui de « populisme » à propos de mouvements qui, pour s’emparer du pouvoir, misent sur le ressentiment populaire à l’égard des institutions représentatives et des élites économiques. On nomme aussi « démocraties illibérales » des régimes qui, tout en respectant les formes du suffrage universel, détruisent les unes après les autres les protections constitutionnelles garanties par l’État de droit à la société civile. Le spectre des années 1930 hante ces tentatives pour définir la nouveauté du présent : on dit « populisme » ou « illibéralisme » pour ne pas avoir à dire « fascisme ». Par le passé, ce mot a sans doute été brandi avec trop de désinvolture pour paraître encore crédible.
Confrontés à ces nouveaux adversaires, les États demeurés fidèles au libéralisme politique peuvent, en outre, s’exonérer de tout examen de conscience. Puisque les populistes et les illibéraux sont supposés incarner une certaine idée de la démocratie, le camp du « progrès » ne se prive pas d’adopter certaines des mesures préconisées par le camp des « nationalistes » au prétexte que l’opinion publique y est favorable. Les politiques sécuritaires menées depuis plusieurs décennies et l’attitude récente des démocraties à l’égard des réfugiés montrent que, du point de vue des mesures prises, la frontière entre ces deux camps est sans doute moins hermétique qu’on ne le proclame.
De 1938, on a l’idée d’un rendez-vous manqué des démocraties avec l’histoire. […] Selon une formule célèbre prêtée (semble-t-il à tort) à Churchill, les démocraties avaient le choix entre le déshonneur et la guerre. Elles ont choisi le déshonneur, et elles finiront par avoir la guerre. Mais s’agissait-il encore de véritables démocraties ?
Lorsque l’on dit des démocraties des années 1930 qu’elles sont faibles, on suggère qu’elles sont confrontées à des États totalitaires qui, contrairement à elles, n’ont pas à tenir compte de leurs opinions publiques. Ni à soumettre leur politique à la critique d’une presse pluraliste et libre. Dans cette hypothèse, on impute aux sociétés démocratiques une indécision, voire une lâcheté, qu’elles tiendraient du suffrage universel et du respect des règles parlementaires. Ce genre d’arguments sert aussi à expliquer la défaite de 1940 : que pouvait un peuple fatigué de la guerre, hédoniste, engourdi par les congés payés face à l’armée disciplinée et ascétique d’un État dictatorial ?
J’ai rencontré 1938, je n’en ai pas fait l’étude. La rencontre suppose une surprise, elle est tout le contraire d’une confirmation. En l’occurrence, la confirmation de mon savoir scolaire sur la période aurait consisté dans la découverte d’un pays amoindri par des querelles intérieures, idéaliste sur les chances du maintien de la paix européenne et soucieux de préserver des règles démocratiques dans un environnement continental de plus en plus hostile. La surprise est venue de ce que je n’ai rien découvert de tout cela. En 1938, j’ai rencontré des logiques, des discours, des urgences économiques ou des pratiques institutionnelles qui m’ont d’abord instruit sur ce que nous vivons aujourd’hui.
On devrait donc s’attendre à voir la France passer sans transition de la lumière à l’ombre : d’un régime parlementaire, peut-être faible, mais attaché à ses principes, à un système autoritaire imposé par l’occupant. Or, je n’ai pas vu dans la France de 1938 un pays que son respect des règles parlementaires rendait vulnérable à l’ennemi fasciste. Justement parce que j’étais animé par des inquiétudes sur la démocratie en 2018, j’ai décelé dans la France de 1938 une société qui, sans rien savoir de ce qui l’attendait, avait déjà abdiqué sur l’essentiel.
A suivre, peut-être, dans les prochains jours avec d’autres extraits notés au cours de ma lecture !
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