J'aime beaucoup les jeux-vidéos. J'y joue, les collectionne, me documente, écris parfois dessus (voir https://plume.tentacul.es/~/JeuViod%C3%A9o si ça vous intéresse) voire même y travaille, quand j'en ai le courage [Note : c'est pas facile]. Bref, je m'y intéresse suffisamment pour que parfois, on me demande mon expertise sur la question (pas souvent, certes).
Et justement récemment, on (*) m'a ainsi demandé quels avaient été les jeux les plus marquants de cette décennie et pourquoi. Or il se trouve que je n'ai joué à quasiment aucun jeu de cette génération. Qu'à cela ne tienne, j'ai procédé comme la vague scientifique que je suis et ai compulsé des données sur la question, en demandant autour de moi et en étudiant des listes parues sur le net. Voici le fruit de mon analyse de ces chiffres (dun dun).
Une des premières choses qui m'a frappée est que ces années 2010-2020 auront été riches en mouvances vidéoludiques plus ou moins antagonistes.
Les tendances en question.
Une des tendances les plus marquées repose sur une idée qui semble un peu paradoxale : le classicisme le plus pur, mais remis au goût du jour. En effet, parmi les jeux les plus cités se trouvent Legend of Zelda Breath of the Wild, The Witcher 3, GTA V, Red Dead Redemption 1 & 2, Elder Scroll 5 Skirym ou encore Last of Us, qui sont tous des jeux d'aventure, un des genres les moins ambitieux formellement puisqu'il privilégie la narration avant tout, ce qui n'est pas vraiment une spécificité du médium vidéoludique et donc aura tendance à proposer des expériences assez peu variées en terme d'approche du gameplay. Or il semblerait qu'une étape a été franchie dans la façon de raconter une histoire pour le JV et c'est ce qui a rendu ces jeux mémorables : la narration est moins démonstrative qu'auparavant et repose avant tout sur une description environnementaliste des enjeux de l'intrigue. Les progrès de la technique permettant la création d'Univers toujours plus réalistes ont été accompagnés de nouvelles façons de présenter une histoire. La narrativité est plus organique, le joueur prenant de plus en plus place dans un monde qui semble vivre sans lui. Le jeu d'aventure en monde ouvert, dont tous les jeux cités sont des représentants, semble l'aboutissement de la façon de présenter un monde cohérent au joueur, et c'est la maîtrise de ces techniques narratives appliquées au monde du jeux-vidéo ce qui a permis à ces jeux de se démarquer. Il n’empêche, tout cela reste un brin pompier.
Les jeux les plus cités sur les listes du net, avec une part belle très marquée en faveur des jeux narratifs classiques.
Dans une mouvance assez proche, on note qu'un certain nombre des grands jeux de cette décennie sont des jeux appartenant à des genres tout aussi classiques bien que plus spécifiques au médium, et donc moins dépendants de leur capacité à susciter l'adhésion avec leur Univers; et dont l'aspect remarquable est qu'ils sont une évolution logique de ces genres pour mieux correspondre à des problématiques modernes. Ainsi Mario Odyssey est comme ses illustres aînés un jeu de plate-forme, à ceci près que l'enjeu n'est plus tant de faire particulièrement preuve d'adresse que d'avoir une interaction toujours plus forte avec son environnement. Dark Souls, dans le genre du dongeon-crawler n'en fait pas moins : le défi qu'il pose en tant que jeu d'action n'est pas novateur en soit, mais il se réapproprie le genre en créant et perfectionnant au fil de ses épisodes une nouvelle dynamique du combat reposant sur une approche plus fluide du contrôle de l'action. On peut en dire autant de Doom, Star Craft 2 ou Tetris Effect, autant de jeux qui reprennent des recettes extrêmement classiques mais qui les remettent au goût du jour en incorporant des codes de level-design modernes résolvant un certain nombre des faiblesses des genres auxquels ils appartiennent respectivement. Les vieux pots font bien les meilleurs soupes, mais à condition d'y mettre des légumes bien frais.
Les jeux "de genre" apparaissent plus dans le sondage que j'ai effectué moi-même.
Si cette dernière tendance s'inscrivait dans la continuité logique de la première dans son rapport au classicisme formel sublimé par des techniques modernes, il en est un autre qui poursuit l'autre versant de celui-ci : la volonté de raconter ses histoires d'une nouvelle façon. Ainsi, une autre tendance forte des jeux notables est essentiellement narrativiste, sauf qu'elle n'a pas les mêmes ambitions artistiques que la 1ère catégorie. Si cette dernière avait toujours la velléité d'offrir un cadre de jeu très structurant dont la narration n'était finalement qu'un enrobage un rien accessoire, les jeux de cette frange en font au contraire le coeur même de leur expérience. Mais pour proposer un cadre intéressant, ils expérimentent des méthodes de narration inédite. Par exemple, Gone Home, au travers du genre du walking simulator, s'ingénie à conter une histoire de façon non-linéaire et purement environnementale. Dans un genre complètement différent, les jeux de l'éditeur Telltale dont fait partie Walking Dead vont au contraire proposer une histoire extrêmement dirigiste, mais la manière dont les choix moraux sont présentés dans l'histoire procurera une véritable illusion d'implication du joueur dans le déroulement de celle-ci. Life is Strange va dans la même direction mais est un peu plus radical en proposant au joueur de modifier le cours des évènements, il donne alors le sentiment au joueur d'avoir véritablement la main sur le cours de l'intrigue.
D'autres jeux vont au contraire dans le sens inverse de ces courants et propose une narration purement absente sinon très réduite, et cherchent plutôt à briller par leur gameplay innovant. Ainsi Portal 2 dans la continuité de son aîné, malgré un background et une écriture parfaitement ciselés, a pour principal ambition d'être un puzzle spatial à la 1ère personne, genre jusqu'alors extrêmement rare en raison de sa complexité conceptuelle - The Witness propose également ce genre d'expérience. Journey est un jeu d'exploration proposant des codes tout aussi inédits dans ses objectifs et dans la façon de les remplir.
La synthèse de ces deux listes présente une répartition plus hétérogènes des tendances observées.
Certains jeux étant issus de la même catégorie se démarquent particulièrement, tant l'empreinte qu'ils ont laissé dans le paysage vidéoludique est importante. Tels Space Invaders qui a créé le genre du shoot 'em up ou Street Fighter 2 qui a révolutionné le jeu de combat et ayant ainsi chacun très fortement façonné la production ludique pour les dix années qui ont suivi, ces jeux ont eu un impact extrêmement fort sur le marché. On pense en premier lieu à Minecraft qui a imposé le bac-à-sable comme genre ultime et qui a rapporté plusieurs milliards à son créateur, mais il n'est pas le seul. On ne peut pas décemment faire l'impasse sur Fortnite qui, comme League of Legends ou Overwatch en leur temps, est absolument omniprésent aujourd'hui et est un phénomène de société de l'ampleur des premiers Pokémon. En parlant de Pokémon, comment ne pas évoquer Pokemon Go qui était sur toutes les lèvres pendant des mois après sa sortie ? Ces derniers jeux n'ont pas véritablement inventé les genres auxquels ils appartiennent, mais ils ont su trouver l'équilibre parfait pour susciter l'engouement général. Une autre composante du succès de tous ces jeux est un élément qui a pris une importance considérable au cours de cette dernière décennie : ce sont tous des jeux fortement sociaux. On peut dès lors se poser la question d'à quel point leur succès n'est finalement pas tant indexés que sur leur capacité à faire vivre leur image au sein de leur communauté au travers par exemple de multiples tournoi d'e-sport ou leur formidable talent de communication; mais il est malgré tout presque sûr que tout cette machine médiatique n'aurait eu que peu ou prou d'impact si ces oeuvres n'avaient pas un minimum de qualités objectives.
Comparatif de mes deux panels sur les jeux cités communément par les deux : à gauche ceux de mon sondage et à droite ceux des publications du net.
Enfin une dernière catégorie de jeux notables a vu poindre son nez ces dernières années : les jeux méta, comme Undertale ou Stanley Parable, le premier maltraitant les règles du jeu de rôle avec une incroyable fraîcheur afin de mettre à jour les limites idéologiques du média et remettre en cause l'hégémonie de ces règles formelles; là où le second va carrément jusqu'à questionner le report qu'a ce pans culturel face à ses propres mécaniques en déconstruisant tout le processus ludique. Le média a désormais suffisamment de recul pour avoir un regard critique sur lui-même et pour finalement devenir son propre sujet. Ne serait-ce pas signe de la maturité d'un média qui, bien que cherchant encore a prouver sa légitimité en tant qu'art, n'est pas déjà parvenu à un stade réflexif largement suffisamment avancé pour mériter de recevoir tout le sérieux académique qu'il mérite ?
(*) : Mon frère, si vous voulez tout savoir.
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