Walter

Walter

Personne dans le Royaume Champignon n’avait aperçu Waluigi depuis quelques jours. L’enquête pour enlèvement a commencé lorsque Wario, son plus proche associé, lui avait demandé de lui faire un prêt pour poursuivre l’exploitation de sa mine d’or en pleine jungle DK, et accessoirement de le représenter pour du lobbying car ce projet devenait de plus en plus controversé sur le plan écologique, en plus de l’exploitation gratuite des enfants bob-ombs.

Tous les soupçons se portent désormais sur une certaine entreprise du secteur de la plomberie dont le patron est un certain M. Celui-ci n’a pas donné de commentaire et nous a redirigé vers son directeur marketing, appelé L. pour plus d’anonymat, dont nous avons obtenu une interview.

« Quelles ont été vos derniers échanges avec Jean-Yves Waluigi, avocat-banquier chez Wario Corp. ?

— Je me souviens très bien, c’est la fois où il ricanait méchamment et faisait le con sur un terrain de tennis. Il était à deux doigts de gagner, mais vu que j’étais le personnage jouable, il a fini par perdre, comme toujours.

— Comment gérez-vous la perte de l’un de vos plus grands concurrents ?

— Je me dis qu’il s’est sûrement fait bouffer par une plante carnivore à la con. C’est dangereux ces saloperies, quand même. On dirait pas comme ça, mais quand on est hors du jeu, elles sortent du tuyau même si on y est collé ou qu’on vient d’en sortir ! Aucun sens du gameplay, je vous jure. Puis Waluigi il est un peu con, ça aide pas trop.

— Qu’avez-vous à dire à ceux qui vous reprochent de l’avoir fait disparaître ?

— Que ce n’est pas parce que c’est mon double maléfique que je suis son propre double maléfique… euh bénéfique… enfin vous voyez quoi. »

Notre reportage se poursuit en la compagnie de Yoshi, dinosaure politique actuellement en candidature pour le poste de ministre des affaires et des comptes publics.

« Awawawawawawa !

— Monsieur Yoshi, en mettant de côté l’affaire en cours sur vos comptes de campagne, que pouvez-vous dire- »

La télévision s’éteignit sur l’ordre du bouton de la télécommande. Waluigi regarda sa valise, préparée à la hâte, ses faux papiers et son porte-monnaie avec de quoi acheter un billet d’avion pour l’étranger. Il s’était débarrassé des éléments les plus reconnaissables comme sa casquette et ses gants et avait modifié sa moustache (aucun plombier ne doit raser sa moustache, code moral des plombiers moustachus, article 34 alinéa 72). En outre, il avait mis sa salopette sous un vieux pull mauve et ajouté une ceinture. Seul un frère plombier pourrait désormais le reconnaître.

Il serait désormais connu sous le nom de Walter-Louis J., une toute nouvelle personne qui vivra enfin sa vie loin des caricatures de méchant et des moqueries. Cette idée de libération de tous les poids qu’il avait alors endurés embuait ses yeux de larmes, pendant qu’il cherchait un taxi pour l’aéroport.

Devenir quelqu’un. Un vrai personnage principal, avec une vraie personnalité. Il pensait déjà à ses rêves d’enfant qu’il avait oubliés, comme partir découvrir le monde, sauver des gens, mettre un terme à la faim dans le mon-

Un véhicule percuta Walter.

Jean-Marie Bowser, homme d’affaires occupé, était parti un peu en avance de chez lui pour un meeting important au sujet de la vente d’armes nucléaires à l’Arabie Saoudite. Il avait prévu le coup à cause de la circulation, avant qu’il ne se rende compte que son vaisseau pouvait voler au lieu d’écraser des gens sur la route.

« Et merde, encore un clodo qui s’est fait suicider par ma faute ! Bon, koopamobile, nettoyage du pare-brise !

Avant de s’envoler pour de bon, il remarqua quelque chose sur le cadavre de Walter.

— Hé, mais c’est l’autre plombier ! Il pourra toujours servir, allez koopamobile, mets-le dans le coffre et on verra ça à la maison. »

Le reste de sa journée se passa plutôt bien, ce qui n’est pas étonnant pour un milliardaire candidat à la présidence des États-Unis pour 2016. En rentrant à sa maison, il appela le sorcier Kamek pour connaître ses tarifs concernant la réanimation de personnage secondaire, catégorie plombiers. Heureusement qu’il avait conservé ce qu’il avait alors pris pour du spam : la carte de visite de Kamek, qui « résout tous types de problèmes et situations, sociales, affectives », « prédit votre avenir et lit dans les lignes de la main », ce qui s’était confirmé à la surprise générale, bien que la carte de visite ne mentionne pas le caractère sataniste de la consultation. Ce n’était cependant pas un problème pour Bowser.

« Hey, Kamek, c’est combien pour transformer Waluigi en zombie ?

— Qui ??

L’antagoniste roula des yeux, ce qui s’entendit au téléphone.

— Un mec qui ressemble à Luigi mais en violet et en plus con, tu l’as sûrement lu dans les actualités dernièrement.

— Ah non, moi je ne lis que dans les constellations, les songes et les présages. Et le Figaro.

— Bon c’est pas grave, on se voit demain, à plus. » Il raccrocha en cassant en deux le téléphone. C’était le septième cette semaine et on était lundi, mais ça ne dérangeait pas le milliardaire d’en racheter à chaque fois.

Le lendemain, avant la séance de satanisme concernant Walter, Bowser avait une réunion importante avec un employé de chez Wario Corp., un avocat-banquier visiblement nouveau à ce poste. Il s’appelait Wayoshi et avait un certain prestige dû à une présence familiale dans la vie politique que les affaires fiscales n’arrivaient pas à ternir.

« Je trouve votre gestion des déchets nucléaires problématique. En effet, nos simulations montrent qu’il ne s’agit pas d’un excellent substitut aux produits alimentaires.

— Tu sais ce que j’en fais, de tes simulations ?

— Euh, je veux dire, Awawawawawawa ! Yoshi ! fait des bruits de yoshi

— Ouais, c’est ça. »

Après avoir suicidé son interlocuteur, Bowser reçut un message de la part de Wario en personne lui disant d’arrêter de faire ça car il s’agissait du 47e employé qu’il faisait disparaître au cours du mois.

« Au fait, des nouvelles de mon frère ?

— Waluigi ? Mes condoléances pour son décè- sa disparition. Et non j’ai rien vu passer. Nos services sont à la recherche du moindre indice qui pourrait nous aider. » Le milliardaire était également Ministre de l’Intérieur.

Suite à cette réunion écourtée, Bowser se rendit à la séance de satanisme dans le sous-sol d’un de ses hôtels. Kamek venait de finir d’attacher Walter au milieu d’un pentagramme incandescent, cerclé d’idéogrammes et face à une statuette de Cthulhu. Le rituel commença par une danse de la macarena. Bowser n’aimait pas cette partie, même si ça valait largement le coup parce qu’après il lui suffisait de s’asseoir avec un paquet de popcorn et admirer le reste du rituel.

« Voilà, Maître, vous pouvez vous rasseoir, je m’occupe du reste. Le milliardaire s’effondra dans son fauteuil fait entièrement à partir de restes de ses employés.

— Par le pouvoir de l’amitié ! Ph'nglui mglw'nafh Édouard Philippe R'lyeh wgah'nagl fhtagn ! »

Le cadavre de Walter s’illumina de l’intérieur, et celui-ci ouvrit les yeux.

— Je… je suis revenu à la vie ! Merci infinim- »

Walter explosa, répandant du sang difficile à nettoyer partout dans la pièce. Bowser soupira, tout en mélangeant son popcorn pour répandre le sang dans le paquet pour plus de goût. Kamek, après avoir encaissé le chèque, partit sur son balai de sorcellerie. Il ne s’envola pas car les balais ne savent pas voler, ce qui rend la situation un peu ridicule.

L’équipe sanitaire passa un jour et demi à nettoyer l’autel, qui a été décrit comme un atelier de charcuterie expérimentale pour développer la filiale bovine de l’empire entrepreneurial de Bowser. Malheureusement, une canalisation s’était retrouvée bouchée par le sang de Walter : l’équipe sanitaire appela donc une certaine entreprise de plomberie à la rescousse.

« It’s-a-me, Mar-

— Oui oui ta gueule. Le tuyau est au fond à gauche. »

Un certain L., déguisé en la mascotte de l’entreprise (le célèbre M.), descendit faire le sale boulot à la place de son frère, pété de thunes. Il finit par retrouver, en plus de beaucoup de sang, des faux papiers d’identité. Ce n’était pas difficile à distinguer des vrais, car il y avait une faute à « nassionaliter » qui devrait s’écrire « nationalité ». Il s’agissait d’un certain Walter-Louis J., un nom très certainement inventé.

L. garda le papier dans sa poche sans informer personne, termina son sale boulot et rentra chez lui. Tout cela lui rappelait quelque chose mais il n’arrivait pas à s’en souvenir clairement.

Le lendemain matin, pris d’une sérieuse envie de résoudre un crime impuni, il sortit un tableau en liège et commença à relier des éléments précis avec des fils et des punaises, comme faisaient les théoriciens du complot. À la fin, c’était un beau bordel. Malgré tout, cela l’amena dans un appartement dont la rue donne sur des taxis, situé au beau milieu du lieu de travail de Bowser et de la résidence principale de Bowser.

Arrivé sur place, une valise gisait sur le trottoir. On pouvait y retrouver de la monnaie (que l’enquêteur s’empressa de prendre, et pas en tant que pièce à conviction), un journal intime et… une casquette violette avec un L inversé.

« Mamma mia ! C’est une caricature de moi mais inversée ! Un peu comme… un double maléfique ! »

flashback

« …Puis Waluigi il est un peu con, ça aide pas trop.

— Qu’avez-vous à dire à ceux qui vous reprochent de l’avoir fait disparaître ?

— Que ce n’est pas parce que c’est mon double maléfique que je suis son propre double maléfique… euh bénéfique… enfin vous voyez quoi. »

fin du flashback

« Bon sang mais c’est bien sûr ! »

Au moment de la réalisation fatidique, un journaliste le prit en photo avec la casquette de Waluigi et du sang sur les mains. Cela ferait la une de tous les journaux, pensa le photographe.

Aussitôt, une course-poursuite intense s’engagea entre le plombier et le journaliste. L. sautait plus haut, mais n’avait pas autant de réactivité que son détracteur, qui semblait avoir fait dans le journalisme de guerre pour se préparer à une telle situation. Suite à plusieurs passages en voiture et taxi, des moments classes au ralenti et beaucoup d’armes à feu tirées dans tous les sens, le journaliste finit par tomber sur un cul-de-sac. Derrière lui se rapprochait lentement le plombier.

« Alors comme ça, on photographie des gens avec son portable en mode portrait ?

— Non, pitié, je zoomais pour que le cadre soit adapté ! Et c’est un soucis de mise en page, après-

— SILENCE ! »

L. ôta le masque du journaliste (oui il avait un masque). Ce qui arrive ensuite va vous surprendre !

« Hhhhhhhhhhhan ! Vous étiez en fait… » Et maintenant, une petite page de pub !

« Bonjour, je suis Olivier de Carglass. Un impact sur votre pare-brise ? N’attendez plus : le plus souvent, ça ne vous coûte rien. Un de nos clients, Jean-Marie B., a eu un impact sur son pare-brise. Nous sommes venus chez lui…

— Alors oui, j’avais… un accident en allant au boulot, et mon véhicule s’est retrouvé complètement salopé ! Heureusement, je peux faire confiance à Carglass, qui a nettoyé le sang, euh l’impact !

Olivier de Carglass se figea pendant un instant, cette pub prenait un ton plutôt sombre, sans mentionner l’odeur alcoolisée de Bowser.

— L’impact, ça ne vous coûte rien ! Oui, vraiment !… par contre le sang c’est pas dans la pub tu feras attention-

— C’est quand même dingue, tous ces clodos par terre ! Ils devraient mettre sur les trottoirs des pics, ou des flammes, je sais pas, quoi ! Et avec tous ces immigrants qui…

— Alors n’attendez plus ! Allez sur le site carglass.fr ou contactez-nous au-

— En plus, Waluigi, quel gauchiste celui-là, avec ses fringues de bobo, pas étonnant que le rituel de réanimation n’ait pas marché sur cette petite m-

jingle « Carglass répare, Carglass remplace »

Wario, qui avait laissé la télévision allumée sur cette page de publicité, réfléchissait à ce qu’il venait d’entendre sur son frère. Le plombier et le journaliste arrêtèrent leur combat pour la même raison (Wario mettait le son très très fort, ça s’entendait jusqu’ici).

Pendant ce temps, Bowser avait fini de tourner cette page de publicité. Quelle idée, la pub en direct, pensa-t-il. Surtout après un apéro aussi chargé. À côté de lui, Olivier de Carglass était en train d’appeler le FBI. Pas de quoi s’inquiéter selon Bowser, qui avait quelques centaines d’avocats parmi ses larbins.

Ce n’est qu’en arrivant chez lui que Bowser constata les dégâts du spot publicitaire ayant mal tourné. « Encore un coup de Yoshi qui veut remonter dans les sondages » fut sa première pensée, suivie de « tiens c’est marrant, ces Goombas écrasés ressemblent étonnamment à mes avocats ».

L’affaire se clôtura sur trois mois de prison avec sursis pour Jean-Marie Bowser. Cela ne l’empêcherait pas de briguer un neuvième mandat, comme la loi qu’il avait fait passer lui autorisait. L., en revanche, de son vrai nom Luigi (à la surprise générale), dut écoper de 500 000 € d’amende, 534 ans de prison et trois peines de mort pour avoir enlevé, tué et découpé Jean-Yves Waluigi, avocat-banquier chez Wario Corp. Heureusement, Luigi avait 5 vies, il lui en restait donc deux. D’un autre côté, la prison semblerait problématique pour son avenir proche et lointain.

Wario, après avoir fait son deuil, continua son entreprise minière comme de rien n’était. Kamek poursuivit ses affaires occultes à son service, mais l’invocation du fantôme de Waluigi ne fonctionnait pas. Et pour cause : Walter n’était pas mort. Disposant de plus d’une vie, il s’était reconverti dans le journalisme militant et avait failli être découvert par son double maléfique, euh bénéfique, enfin vous voyez quoi.